Le droit d’ÊTRE pour une rivière en Minganie : une première au Québec et au Canada!

6 décembre 2022

Le droit d’ÊTRE pour une rivière en Minganie : une première au Québec et au Canada!

Par Sara Richard, directrice de l’aménagement du territoire à la MRC de Minganie

Puisque Muteshekau Shipu – Rivière Magpie ne peut pas parler, voici une partie de son histoire…

Par une résolution « miroir », le Conseil des Innu de Ekuanitshit et la MRC de Minganie reconnaissent en février 2021 la personnalité juridique et les droits de la Rivière Magpie (Muteshekau Shipu). Les deux entités qui travaillent de concert depuis 2018 à la protection de la rivière, concluent de l’urgence de la déclarer comme sujet de droit, afin de mieux la protéger en tant que milieu de vie. On lui donne donc le droit de vivre, de couler, d’exister, et ce de façon légale au Québec et au Canada.

Une alliance qui se crée rapidement…

L’histoire légale de la Muteshekau Shipu débute avec un forum international sur les rivières à Sept-Iles, organisé par la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec) en 2018 : le Forum nord-américain sur la préservation des rivières. Celui-ci se conclut par la volonté des élus de protéger la rivière d’un développement hydroélectrique futur, puisque celle-ci est dans la mire d’Hydro-Québec.

Des suites du Forum, une rencontre est convoquée afin de constituer un comité de travail technique qui a comme mandat la protection et la mise en valeur de la rivière en y établissant un parc ou une aire protégée innue. L’Alliance[1] Muteshekau Shipu, qui rassemble Premières Nations, municipalités, groupes environnementaux et citoyens, est donc créée et j’en fais partie en tant qu’aménagiste régionale. La première action du comité : une première résolution commune voit le jour, en novembre 2018, où chacun déclare :

« Nous souhaitons une économie durable et diversifiée pour le Nitassinan, la Côte-Nord et ses communautés qui mise davantage sur la protection et la mise en valeur des éléments exceptionnels de notre patrimoine naturel et culturel, et un meilleur accès à ces derniers. La rivière Magpie / Muteshekau Shipu, de par son potentiel récréotouristique reconnu et le soutien clair exprimé pour sa préservation, doit être protégée et mise en valeur au bénéfice des communautés locales et des générations futures. »

[1] L’Alliance Muteshekau Shipu (Rivière Magpie) est formée de Shanice Mollen-Picard et Uapukun Mestokosho-Mackenzie (communauté innue de Ekuanitshit), de Mathieu Bourdon (Association Eaux-Vives Minganie), de Pier-Olivier Boudreau (SNAP-Québec) de Karine Chouinard (Municipalité de Rivière-Saint-Jean) et de Sara Richard (MRC de Minganie).

 

Qui est Muteshekau Shipu?

Muteshekau Shipu signifie « Rivière aux rives abruptes et rochers pointus » ou « la rivière où l’eau passe entre des falaises rocheuses carrées ». La rivière coule sur une longueur d’approximativement 290 km et son bassin versant couvre une superficie de 7 650 km2. La partie amont de Muteshekau Shipu dispose d’un statut de protection temporaire, la « Réserve de biodiversité projetée du massif des lacs Belmont et Magpie »; mais la partie en aval demeure non protégée.

«Cette rivière qui coule dans une vallée glacière est une des artères du Golfe St-Laurent et une des routes ancestrales de déplacement des Innus pour accéder au Nutshimit (la forêt). Les sommets montagneux dénudés garnis de lichens sont propices à la migration des caribous. Poissons, loutres, castors et autres gibiers abondent. Pour les innus, c’est un endroit de chasse, de vie et de pratique de l’Innu Aitun (la culture innue). Ce territoire est aussi fréquenté par les pourvoyeurs qui y ont quelques installations, quelques villégiateurs qui ont des chalets ou des « camps » et quelques touristes autonomes ou guidés qui viennent profiter de ses eaux vives ou de ses sentiers.»[1]

[1] Texte de Mathieu Bourdon.

Comment peut-on la protéger? Des résolutions miroirs

En 2019, le conseil des Innu de Ekuanitshit et le conseil de la MRC de Minganie s’entendent pour créer une aire protégée sur près de 2 600 km2 qui inclurait la portion aval de la rivière Magpie. La vocation de cette aire protégée serait la préservation de la nature et de la faune, la facilitation de l’Innu Aitun et la mise en valeur, notamment à travers le potentiel récréotouristique et le tourisme autochtone.

Par la suite, recherche, concertation, rencontres, téléphones, zooms, rencontre Teams se sont enchaînées… La SNAP Québec nous met en lien avec l’Observatoire International des Droits de la Nature (OIDN) et une rencontre d’information sur le sujet est essentielle afin de découvrir le mouvement des droits de la nature, qui commence à peine au niveau international. C’est décidé! Nous allons tout faire pour que la rivière ait ses droits au même titre qu’une personne. Yenny Vega Cardenas, présidente de l’OIDN, et son équipe nous conseillent. Après tout, l’expertise de l’Observatoire est précisément ce dont nous avons besoin à ce moment.

Le Québec, le Canada. Les lois provinciales, les lois fédérales. La MRC, Ekuanitshit. On cherche dans toutes les lois existantes ce qui permet de légiférer en tant que Municipalité ou conseil de bande. Pour la MRC c’est :

  • Par la loi sur les compétences municipales : La MRC peut réglementer sur toute matière de nature régionale et peut constituer un organisme destiné à la protection de l’environnement ou confier cette responsabilité à une société ou personne morale à but non lucratif;
  • Par la Loi sur l’Aménagement et l’Urbanisme : La MRC a la responsabilité de mettre en œuvre des politiques régionales d’aménagement et de développement;
  • Par la Charte québécoise des droits de la personne : On prévoit que toute personne a droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité;
  • Par la Loi sur la qualité de l’environnement : Toute personne a droit à la qualité de l’environnement, à sa protection et à la sauvegarde des espèces vivantes qui y habitent;
  • Par la Loi sur le développement durable : Les activités humaines doivent être respectueuses de la capacité de support des écosystèmes et en assurer la pérennité;
  • Par la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection : Cette Loi reconnaît qu’une « altération des propriétés physiques, chimiques ou biologiques, des fonctions écologiques ou de l’état quantitatif » d’une ressource en eau comme étant un dommage;
  • Par la Loi sur la conservation du patrimoine naturel : Cette Loi vise à « Faciliter la mise en place d’un réseau d’aires protégées représentatives de la biodiversité en instaurant des mesures de conservation des milieux naturels complémentaires aux autres moyens existants », et l’inscription de la rivière Magpie au registre des aires protégées prévu à cette loi renforcerait la reconnaissance des droits de la rivière en sauvegardant la diversité et les éléments vitaux de celle-ci pour les générations présentes et futures.

Deux résolution miroirs d’une quinzaine de pages, truffées de références légales sont donc adoptées au début de l’année 2021.   C’est à travers ce mécanisme que la rivière est reconnue comme personnalité juridique et que nous lui conférons neuf droits. Par une conférence de presse, en février 2021, nous dévoilons alors au monde entier son existence.

Vous vous demandez ce que cela implique et comment une rivière peut avoir des droits et être considérée comme une personne morale? Et bien… Nous travaillons présentement à une entente commune concernant la nomination de défenseurs légaux de Muteshekau Shipu. Nous considérons la rivière comme une entité vivante qui possède des droits fondamentaux. Dans l’éventualité où celle-ci serait visée par des actions lui causant un préjudice, les défenseurs nommés par la MRC de Minganie et le Conseil des Innu de Ekuanitshit agiront au nom de la rivière en veillant à ses droits et intérêts. Ceux-ci pourront entreprendre des actions légales en son nom puisqu’elle ne peut se défendre elle-même devant la cour.

On continue

Il reste encore du travail. Faire cautionner l’entente. Nommer les défenseurs. Créer l’aire protégée ou le parc innu. Mais également, mettre en valeur cette Rivière qui est considérée comme l’une des joyaux de la nature et comme destination de tourisme d’aventure et d’écotourisme, ayant été classée parmi les dix meilleures rivières au monde pour les activités en eau vive et les activités de rafting, ainsi que parmi les dix meilleures rivières en Amérique du Nord pour le canotage.

P.S. Muteshekau Shipu est finaliste au Prix Droits et Libertés de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, « Édition 2022 : Notre planète, nos droits! » qui aura lieu à Montréal le 7 décembre prochain.

Crédits photos 

  • 1re photo : Sara Richard
  • Autres photos : Boreal River Adventures

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