Démystifier la gestion intégrée des ressources et du territoire, au Québec, un acteur à la fois

Le texte qui suit est un résumé d’une thèse de doctorat portant sur la gestion intégrée des ressources et du territoire (GIRT). La thèse a été rédigée par madame Anne Bernard dans le cadre d’un doctorat en sciences forestières à l’Université Laval en 2021.

L’aménagement durable des forêts est un concept issu de la conférence de Rio (1992) et du rapport Brundtland (1987).  Il s’agit d’intégrer les aspects économiques, sociaux et environnementaux à l’aménagement des forêts.  C’est un défi, en ce sens que l’exploitation forestière est basée sur la quantité maximale de bois pouvant être récoltée à perpétuité (possibilité forestière), sans mettre en péril les bénéfices des générations futures.

Au Québec, cette utilisation multifonctionnelle de la forêt se concrétise par le concept de gestion intégré des ressources et du territoire (GIRT), c’est-à-dire : un processus coopératif de gestion et de concertation. Ce processus réunit l’ensemble des acteurs et gestionnaires du milieu, porteurs d’intérêts collectifs publics ou privés, pour un territoire donné. Ce processus vise à intégrer, dès le début de la planification et tout au long de celle-ci, leur vision du développement du territoire, qui s’appuie sur la conservation et la mise en valeur des ressources et fonctions du milieu. Il en résulte notamment une planification et une mise en œuvre intégrées et concertées de l’aménagement des ressources et du territoire du milieu forestier. La GIRT concourt à accroître les bénéfices et les retombées pour les collectivités de même qu’à optimiser l’utilisation du territoire et des ressources » (Desrosiers et al., 2010).

Le concept de GIRT est inscrit :

• dans la stratégie d’aménagement durable des forêts qui a pour objectif de développer un milieu forestier productif et créateur de richesses diversifiées
• dans le mandat du Forestier en chef qui doit considérer les biens et services autres que la valeur du bois, dans le calcul de la possibilité forestière
• dans la Loi sur l’aménagement durable des forêts. Article 1.2 : La présente loi institue un régime forestier visant à assurer une gestion des ressources et du territoire qui soit intégrée, régionalisée et axée sur la formulation d’objectifs clairs et cohérents, sur l’atteinte de résultats mesurables et sur la responsabilisation des gestionnaires et des utilisateurs du territoire forestier.

Cette GIRT, elle est régionalisée à l’échelle des unités d’aménagement forestier (UAF) : un territoire de quelques milliers de kilomètres carrés.  La loi y a créé des tables locales de gestion intégrée des ressources et du territoire (TLGIRT).  Ces tables regroupent des professionnels (ministère, compagnies forestières et coordonnateurs des TLGIRT) et des représentants des groupes d’intérêt sur le territoire de l’UAF.  Le mandat des TLGIRT est de faire des recommandations au ministère pour une meilleure prise en compte des intérêts du milieu.  Les TLGIRT se prononcent sur un plan d’aménagement forestier tactique de 5 ans et sur un plan d’aménagement forestier opérationnel annuel.  Il y a 34 TLGIRT, réparties dans toutes les régions du Québec, sauf Montréal, Laval et Montérégie.

Cette thèse de doctorat présente essentiellement la perception des membres des TLGIRT, sur l’efficacité de la GIRT

Pour les professionnels (ministères, compagnies forestières et coordonnateurs des TLGIRT) :

• c’est un concept inclusif, mais complexe et qui alourdit les échanges entre les utilisateurs de la forêt
• c’est une façon de faire qui inclut les aspects stratégiques au détriment des requêtes individuelles

Pour les représentants des groupes d’intérêt :

• les activités pratiquées sur le territoire sont subordonnées à la récolte de bois
• la composition des TLGIRT est représentative. Le respect, l’écoute et la collaboration y règnent
• l’utilisation d’un langage technique freine la participation et la compréhension de certains participants
• il y a une inéquité entre les participants : entre les employés rémunérés et les bénévoles, ça se reflète dans le suivi que les participants font auprès de l’organisation qu’ils représentent
• la prise de décision est déficiente, peu de résultats concrets sont atteints pour influencer la prise décision du ministère
• les TLGIRT sont des tables de consultation et non des tables de gestion intégrée des ressources

Face à ce constat, l’auteure de la thèse formule les recommandations suivantes :

• le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) a une double mission : approvisionner les usines en bois et tenir compte des préoccupations des utilisateurs de la forêt. C’est contradictoire.  Il devrait y avoir une instance régionale indépendante (du MFFP et des compagnies) pour élaborer les plans d’aménagement intégré.  Les décisions d’aménagement forestier seraient ainsi prises en fonction de l’ensemble des ressources et non sur la base prioritaire de la matière ligneuse.
• La GIRT doit changer de nom, en ce sens qu’elle réfère à toutes les ressources du territoire, ce qui déçoit plusieurs participants. On devrait plutôt parler de « gestion intégrée des ressources forestières (GIRF) » : une concertation régionale entre les utilisateurs de la forêt.
• Il faut repenser la gouvernance forestière, en mettant à jour les plans d’affectation des terres publiques (PATP) pour qu’ils intègrent des affectations multifonctionnelles ou des affectations dédiées à des activités spécifiques et en mettant en œuvre (enfin) des forêts communautaires, habitées ou de proximité

Les changements proposés permettraient aux gestionnaires de la forêt publique d’aller chercher une plus grande acceptabilité sociale de leurs pratiques d’une part chez les utilisateurs impliqués dans le processus de GIRT, mais aussi dans la population générale.

Résumé rédigé par Daniel Dufault, coordonnateur à l’aménagement, MRC de Témiscamingue – C’est possible de consulter l’intégralité de la thèse, sur le lien suivant : https://corpus.ulaval.ca/jspui/bitstream/20.500.11794/71278/1/37610.pdf